C’est tout, mon nouveau projet d’installation est en cours et il est réalisé à l’hôtel de ville de mon village…
J’ai le privilège d’être accueillie, avec ma myriade de samares de frênes, par l’équipe municipale de Saint-Charles-sur-Richelieu. Ils m’ont offert un temps de résidence de trois mois et un soutien financier. J’y élabore mon installation et j’expose dans ce magnifique lieu qu’est l’ancien presbytère. Je partage mon quotidien de créatrice avec eux qui travaillent, les visiteur(-euse)s qui vont et viennent pour des raisons administratives et un groupe de résidant(e)s qui vient pour participer à une formation d’écriture de haïkus (en lien avec mon œuvre). L’expérience est exceptionnelle, car elle permet de tracer un pont entre les résidant(e)s et mon travail d’artiste professionnelle.
Chaque jour, tel un rituel, je mesure, je coupe, je peins, j’assemble et je suspends des fils et des samares. J’écris. Je calcule. J’expérimente les matériaux. Fils qui s’emmêle, aiguille qui exige trop de temps, colle qui a les caractéristiques que je veux, samares naturelles ou peintes, support adéquat pour suspendre, plafond patrimonial, clous exclus, je leur témoigne le vertige de ma recherche. Je cumule les erreurs et les réussites, mes moments de découragements, mes moments de satisfactions. Il y a beaucoup de pourquoi et de comment. J’apprivoise le bruit et les sons ambiants. Je me concentre sur mon intention. Malgré les embûches, l’effet poétique de mes samares qui envahissent lentement leur corridor me rassure.
Outre les samares, C’est tout implique des milliers de fils transparents accrochés au plafond qui retiennent chacun une semence de frêne. Se présentant telle une ondée cet amas immobilisé au-dessus du sol évoque une symbolique forte. Vouées à une impasse, les samares témoignent l’impact d’un non-retour. Mort ? Abandon ? Deuil ? Infertilité ? Territoire paralysé ? Silence ? Privation ? Forêt ? Société ? Elles sont, mais ne seront pas des arbres. Couvertes de blanc et d’apparence paisible, elles camouflent l’ombre d’un sort irrévocable. Leur immobilité porte le poids de la mélancolie. Chaque fois que je prends une pause, j’observe le volume de mon installation et je réalise qu’elle évoque de multiples interprétations. La fragilité des samares exige la lenteur des déplacements. La moindre circulation provoque une virevolte et un léger emmêlement. Errer autour de cette fragile forêt suscite la réflexion et laisse la sensation du chuchotement d’un dernier souffle.
Avec C’est tout le fil de ma démarche se prolonge. Il fait suite à mes œuvres qui ne focalisent que sur quelques archétypes essentiels pour donner accès à des territoires sensoriels et intimes. Un bijou, une mitaine, une cage, un clou, un vêtement, des cailloux, ou un simple fil agissent dans mon travail comme des symboles primitifs et universels. Ces choses appartiennent à l’inconscient collectif. Elles sont du peu et du presque. Elles chuchotent ce qui devrait être crié. Ma maison est encerclée de samares échouées. Ma région est parsemée de ces arbres agonisants. L’image est forte, les scènes éloquentes. L’archétype qu’incarne la samare s’exprime essentiellement dans notre propre condition d’humain.
Mon processus créatif implique beaucoup d’aspects dont mon rapport avec les arts. Il y a les arts visuels et les arts vivants dont le travail m’interpelle, mais celui des écrivain(e)s reste celui qui contribue le plus à mon cheminement. Peut-être est-ce parce que les livres habitent mon atelier au quotidien ? Ils sont toujours là. Ils forment un mur de mots essentiels au cœur de mon travail. À tout moment, je peux les lire, les citer, les découper, les réfléchir, les coller, les relire ou les clouer au mur. Les livres de poésie s’empilent en rois. Les images, les métaphores, le rythme et le figuré me fascinent. J’ai l’impression que la poésie se construit comme je crée. C’est partir de l’essence dans ce que je vois, j’entends, je touche ou je respire que j’assemble ma longue chaîne de visions.
C’est tout fait écho à mon art et à nos samares.
Marie France Cournoyer, mars 2022
Pour mon projet C’est tout, je remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec, le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, les Municipalités régionales de comté (MRC), le CLD de Brome-Missisquoi, la Table de concertation régionale de la Montérégie en collaboration avec Culture Montérégie, la Maison de la culture Villebon, ma municipalité de Saint-Charles-sur-Richelieu, National tree seed centre et à Donnie Mcphee et Nini pour leur précieuse contribution à mon projet.
http://www.mariefrancecournoyer.com/